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La formation professionnelle : un levier d’espoir pour la jeunesse libanaise
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Depuis 2019, le Liban traverse une succession de crises : économiques, sécuritaires, financières, sanitaires… Face à cette situation, l’AFD et ses partenaires ont déployé un programme ambitieux de renforcement de l’employabilité, en lien étroit avec les besoins du marché du travail. Reportage auprès des jeunes qui ont pu bénéficier de formations professionnelles.
Un pays à genoux, un exode massif de matière grise : le Liban perd ses forces vives en raison des crises qui secouent le pays.
En 2017, l’AFD a mis en place le programme Maharat Li Loubnan (« des compétences pour le Liban », phase 1 et 2), en partenariat avec l'Institut européen de coopération et de développement (IECD) et Semeurs d’avenir, afin de former à l’emploi des personnes précaires, renforcer les petites et moyennes entreprises, et contribuer à la réduction des tensions sociales.
Huit ans plus tard, les résultats sont là : plus de 5 000 personnes ont bénéficié de formations qualifiantes, courtes ou longues, et 1 400 entrepreneurs ont été accompagnés via un appui multidimensionnel.
Miryam Kabbabi – une passion pour l'apiculture
Miryam dépérissait dans le monde de la finance. « Le travail de bureau me créait beaucoup de pression et de stress, alors j’ai décidé de chercher la paix mentale. » Cette paix, elle la trouvera dans l’apiculture en pleine crise économique : « j'ai commencé presque par hasard. J'avais un terrain familial et assez d'argent pour m’acheter quatre ruches. » Elle commence en faisant son propre miel en famille, à la maison, grâce à des tutoriels en ligne. Face à la demande de ses amis et de sa famille qui apprécient son miel, Miryam réfléchit à faire de cette petite initiative quelque chose de plus grand. « Au début, je ne savais pas comment. J’avais beau avoir une maîtrise en finance, mon business se résumait à vendre le miel que je récoltais. »
La formation de l’IECD à l’entrepreneuriat l’a aidée à s’organiser : « Faire mes comptes, hiérarchiser mes priorités, afin de déterminer les objectifs de mon entreprise, suivre mes coûts, mes bénéfices, définir mon propre salaire. Tout cela, je l’ignorais ! » Miryam a ainsi pu se structurer pour diversifier son entreprise et aller de l’avant.
Aujourd’hui, son miel artisanal, issu de quatre ruches, s’est mué en une entreprise prospère de plus de 100 ruches. Elle a pu réaliser son rêve, celui de vivre d’un métier qu’elle aime et qu’elle conseille à tous les jeunes entrepreneurs, notamment les femmes : « Les abeilles reconnaissent nos voix, nos odeurs ; c’est une grande richesse que de travailler avec elles. Ce qu’on donne aux abeilles, elles nous le rendent au centuple ! » Avec ses ruches, ses projets s’agrandissent : désormais, Miryam reçoit des groupes scolaires pour les initier à l’apiculture et envisage notamment de créer un centre d’apitourisme. Car la formation de l’IECD lui a permis de voir les choses en grand.
Hiyam Sayah – s'entraider pour surmonter les difficultés
Hiyam a 32 ans. Elle est née avec un léger retard mental qui a impacté son comportement depuis l’enfance. « Elle était légèrement en retard sur ses camarades de classe, et avait des comportements souvent négatifs envers sa sœur et ses cousins. Et à l’époque, les écoles n’avaient pas de méthodes pédagogiques adaptées. », raconte sa mère.
Déscolarisée depuis la classe de 4e, Hiyam a passé plusieurs années exclue des parcours traditionnels d’apprentissage et d’emploi. Son chemin a pris une tournure différente lorsqu’elle s’est inscrite au programme de formation inclusive en hôtellerie, mis en œuvre par l’IECD au sein du café Agonista, conçu pour doter les jeunes de compétences pratiques dans le secteur de l’hôtellerie.
Une formation qui a largement profité à Hiyam : « c’était ma première formation, et la première fois que je travaillais, j’ai beaucoup aimé cette expérience. Pendant un mois et demi, avec huit autres personnes, on a appris beaucoup de choses comme accueillir les clients et le service à table. Et on a reçu un diplôme à la fin. Cela fait beaucoup de bien. »
Selon sa mère, cette formation lui a été bénéfique car elle a contribué à renforcer sa détermination et à affirmer sa personnalité.
Hiyam a été embauchée comme employée de cuisine auprès de l’ONG Message de Paix. Son conseil aux autres : « il faut s’entraider. Si je vois une personne dans mon cas, je dois l’aider. »
Serge Chamoun – du brevet de technicien en maintenance industrielle au secteur maritime
À 21 ans, Serge Chamoun a toujours été passionné par la mer : « Depuis l’enfance, j’aime la pêche sous-marine, la plongée, et surtout, j’ai toujours été très curieux de comprendre comment fonctionnaient les navires et comment on travaillait sur un bateau. Mais je ne savais pas comment accéder à ce domaine. »
À l’école Mgr Cortbawi à Jounieh, il obtient son diplôme de brevet de technicien en maintenance industrielle en 2022. C’est ici qu’intervient l’IECD, qui l’oriente vers le secteur de la mer. « Pour travailler sur un navire, il me manquait une formation en soudure et en montage. La formation IECD m’a appris à souder des tuyaux et à faire du chanfreinage de façon très précise. »
Grâce à ces formations, Serge acquiert un niveau technique suffisant pour le préparer à la formation pilote organisée par l’IECD et l’International Maritime Academy en 2023. « Ici, nous avons suivi des formations en sensibilisation à la sécurité en mer, lutte contre les incendies, cours de natation et de sauvetage en mer, et spécialisation en mécanique en mer. » Il est ainsi fin prêt à travailler sur tout type de navire, en salle des machines ou sur le pont en tant que soudeur et graisseur à bord. Après trois mois de formation, le jeune homme passe des examens techniques et il est recruté à bord de navires du groupe CMA CGM.
Son principal atout : être créatif pour trouver des solutions concrètes aux multiples défis à bord du navire : « La créativité et la confiance en soi que m’a inculquées la formation IECD m’ont aidé à me dépasser en permanence », conclut Serge. Du Sri Lanka aux Maldives, en passant par la Thaïlande, Serge a fait le tour du monde et compte continuer à suivre sa passion : la mer. Son prochain projet : devenir soudeur sous-marin !
Batoul Hazimeh – passionnée par les métiers de l’électricité
Avec une maîtrise en génie électrique en poche, Batoul Hazimeh, 33 ans, rêve de se lancer dans sa passion : les métiers de l’électricité. Mais ses recherches d’emploi se révèlent infructueuses : peu de contacts professionnels pour l’aider dans ses démarches, et surtout un manque d’expérience pratique. Au bout de deux années sans réussir à trouver un emploi, Batoul déchante.
En 2021, elle s’inscrit à un programme de formation en électricité dispensé par l’IECD. Une formation qui lui permet d'acquérir la précieuse expérience pratique qui lui manquait. « Il me fallait appliquer ces notions pour mieux les comprendre. Avec la formation de l’IECD, nous avons appris, entre autres, à construire des tableaux électriques manuellement, et ensuite ces tableaux étaient envoyés sur des chantiers. Ce n’était plus de la théorie, j’ai beaucoup appris sur le concept, le contrôle et la puissance dans le domaine de l’électricité. »
Pour compléter la formation, Batoul suit également des cours où elle apprend à rédiger un CV. Et l’emploi ne se fait pas attendre : « quand des employeurs potentiels ont vu que j’avais de l’expérience dans l’assemblage de panneaux solaires, par exemple, cela a immédiatement augmenté mes chances d’embauche. »
Aujourd’hui, Batoul travaille dans le design et l’automatisation de systèmes électriques destinés à des maisons intelligentes, au sein d’une entreprise libanaise. Elle a résolument trouvé sa voie : « l’électricité, c’est la vie. On dépend tous de l’électricité, on ne peut pas vivre sans, et c’est très amusant d’y travailler. Il y a toujours une nouvelle idée, un nouveau concept, quelque chose à apprendre. » Et ses rêves ont grandi : dans dix ans, elle se voit chef d’entreprise.
« Nous avons traité les crises l’une après l’autre en cherchant à chaque fois des solutions adaptées. »
Pour Eddy Nasr, responsable des programmes à l’IECD, le maître mot de ce programme de formation est clair : l’employabilité. Et cela commence dès l’orientation scolaire, en veillant à la cohérence des cursus avec les besoins du marché et à la qualité des formations.
« Selon des études de marché menées par Euromena, il existe un déficit de main-d’œuvre dans les secteurs suivants : santé, énergie, industrie, restauration, agriculture et construction. Nos projets ciblent donc ces secteurs, car ce sont ceux qui offrent de réelles perspectives d’emploi. »
Une approche qui s’adapte aux différents types de profils, selon Marc de Kergariou, directeur Liban de l’IECD : « pour les personnes en situation de décrochage scolaire, nous privilégions des formations courtes, de trois à quatre mois, centrées sur des compétences concrètes et directement mobilisables. Quand ils vont faire une formation d’électricité, l’idée, c’est qu’ils puissent installer un panneau solaire ou gérer un tableau électrique. »
D’autres formations, plus spécialisées, s’adressent à des bénéficiaires diplômés, dans le but de renforcer des filières professionnelles existantes : « par exemple, chez des infirmiers et infirmières diplômés, nous avons identifié qu’il leur manquait des compétences précises, notamment en pratique. Nos formations de spécialisation en réanimation, urgences ou pédiatrie viennent ainsi combler ces lacunes et permettent à ces personnes de trouver un emploi dans les hôpitaux publics. »
Le programme s’adresse à un éventail large de bénéficiaires, dont 50 % de femmes et 30 % de réfugiés parmi les participants aux formations courtes :
« De nombreuses femmes sont dans des micro-entreprises que nous aidons à développer pour les rendre autonomes, et leur permettre de subvenir aux besoins de leurs familles. Quant aux personnes en situation de handicap, nous nous efforçons, dans la mesure du possible, de les inclure dans nos projets avec des partenaires locaux spécialisés dans ce domaine. »
Le programme a fonctionné, au fil des années, de manière flexible, afin de pouvoir s’adapter aux nombreuses crises ayant frappé le Liban de manière imprévisible. Liban.
Pour Eddy Nasr : « nous avons traité les crises l’une après l’autre en cherchant à chaque fois des solutions adaptées. »
Une collaboration fructueuse avec l’AFD, comme l’atteste son directeur au Liban, Jean-Bertrand Mothes : « la France, à travers l’AFD, s’engage depuis plusieurs années à soutenir des programmes de formation professionnelle. Nous croyons fermement que la formation adaptée aux réalités du marché est l’un des piliers d’un développement économique durable et inclusif. Nous restons pleinement engagés à poursuivre ce travail aux côtés de nos partenaires, pour que chaque parcours professionnel devienne une opportunité de résilience et d’avenir. »
Avec toujours le cap fixé sur la pérennité, pour Marc de Kergariou : « Nous essayons toujours d’anticiper la fin du projet. Lorsque nous créons une formation spécifique dans le cadre d’une école technique, par exemple, nous allons fournir de l’équipement, ainsi que des référentiels de formation qui sont validés en curriculum. Nous transférons tout un savoir-faire, aussi bien en formation que dans le contenu et dans l’équipement nécessaire. Ainsi, cette école technique va ensuite continuer quand nous ne serons plus là. »